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Sébastien Gouju conçoit des objets et des installations,
où il s’agit, chaque fois, de jouer avec notre perception
des choses.
Prenons, à titre d’exemple, l’une de ses dernières pièces, Papillons (2008). Comme le nom l’indique, on a affaire, ici,
à des papillons, épinglés, en rangées bien ordonnées,
à l’intérieur de boîtes d’entomologistes. Ou du moins est-ce
ce qu’on croit, d’abord, tandis qu’on arrive, de loin,
et qu’on les voit. Mais approchons-nous maintenant de ces boîtes, et l’on verra qu’il s’agit en réalité de ces petits rebuts, copeaux de bois, qu’on obtient lorsqu’on taille les crayons.
Ils ont été ramassés, délicatement, vernissés, et accrochés là. Mis sous verre et au mur. Hommage discret, peut-être,
à ces ailes qu’ils nous donnaient jadis, ces crayons, lorsque nous étions enfants, et qu’avec eux nous dessinions,
ou écrivions, déjà, d’autres mondes, d’autres possibles.
Ils en étaient la promesse. Avec eux on pourrait s’envoler.
Mais peut-être est-ce aussi, et surtout, comme une incitation, comme une invitation, ici, à ce que cela recommence.
Les oeuvres de Sébastien Gouju s’adressent volontiers
à l’enfant qui dort en nous, quelque part, enfoui.
Elles voudraient le susciter à nouveau. Elles voudraient
nous ramener – fût-ce un instant – à ce point, précis
en même temps qu’introuvable, où nous n’avions pas encore une perception toute faite du monde, une perception préformée, prédécoupée par la force de l’habitude
et de l’utilité.
Nombre d’oeuvres de Sébastien Gouju fonctionnent de cette manière, exactement. Elles créent d’abord une attente,
puis s’amusent à la décevoir, pour nous faire basculer,
bien plutôt, dans l’étonnement. L’étonnement : cette vertu
qui est celle de l’enfant, comme on l’aura compris.
Mais qui est celle aussi – faut-il le rappeler ? – du philosophe (Aristote, Métaphysique, A, 1). Ainsi encore Les Ballons.
Là où l’on pensait, de loin, trouver la malléabilité
du caoutchouc, là où l’on pensait, de loin, trouver
une certaine légèreté, ils nous offrent au contraire, maintenant qu’on s’est approché, la dureté du verre, et une pesanteur certaine. Ou Les Soldats. Cloués au sol, ils se présentent d’abord, de surplomb, comme un tapis de feuilles.
Ne se révélant qu’ensuite être un camouflage, abriter
des guerriers.À condition bien sûr qu’on en ait fait le tour, qu’on se soit abaissé, qu’on ait consenti soi-même
à se mettre à leur niveau, à leur échelle.
Ce déplacement du corps d’ailleurs, dont il est ici question,
est essentiel chez Sébastien Gouju. Et c’est bien pour cela qu’on aparlé tout à l’heure d’installation, aussi, et pas seulement d’objets.
C’est au corps, en effet, en tant qu’il est le lieu, précisément, où se passe la sensation, en acte, en tant qu’il est le lieu, aussi, où s’en conserve précisément la mémoire,
où s’en conserve le protocole, c’est au corps, dis-je,
que parlent généralement ses pièces.
Ce n’est point là un art conceptuel, ni intellectuel.
Mais c’est un art, au contraire, tout en intuition.
Les pièces de Sébastien Gouju perturbent discrètement
nos attentes, nos habitudes. Mine de rien. Et c’est de cette discrétion même, de cette simplicité, de ce mine de rien qu’elles tirent tout à la fois leur efficacité et qu’elles tirent
leur beauté. Nous renvoyant à cet instant dont je parlais
déjà tout à l’heure : comme à l’aube de nos premières expériences, de nos premières découvertes.
Avant que le monde ne soit devenu monde. Avant que nous ayons cessé d’y prendre garde. À force d’y être.
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