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Sébastien Gouju fait une oeuvre de déplacements. Incessamment, il place et déplace, manipule les images
et objets communsqui nous entourent et qui, bien souvent, nous sont devenus indignes d’attention.
Parce que nous avons grandi, oui, et que notre position
nous impose de toiser le monde, en regardant bien droit devant nous. Absolument capables de définir l’usage
des objets,de leur attribuer une image et un sens, après tout. Un ballon de baudruche est plein d’air, léger, forcément.
Alors pourquoi y regarder davantage ? Et bien précisément parce que ce postulat, fort du rationalisme cartésien,
a littéralement été inversé. En ce sens qu’à force
de les nommer et les définir, à force d’en avoir fait
des concepts tangibles, nous avons occulté que ce sont eux qui nous renseignent sur le monde. Ils n’en sont pas le petit peuple utile et invisible mais bien des produits,
et leur diversité nous apprend plutôt sur la pluralité
de notre héritage historique. Mais question d’éducation,
nous préférons classer.
En regard de cela, l’erreur de lecture est manifeste.
C’est ainsi précisément, à partir de cette inversion de sens, qu’agissentles oeuvres de Sébastien Gouju. Des objets,
bien sûr, mais l’artiste recompose également des installations et dessins pourrenouveler le regard et surtout mettre à mal tout systématisme. Sous forme de petites trouvailles, ludiques et poétiques, lesoeuvres prennent la forme d’exemples manifestes de notre aveuglement. Dans l’oeuvre Lapse of,
il agit sur une ardoise, que nous avons bien connu lors des séances collectives de calcul mental sur les bancs de l’école. Les mathématiques noussont alors inculquées comme
une science, et donc comme une discipline rationnelle.
Deux plus deux font quatre, imparable. Mais depuis quand
les mathématiques constituent-elles une science immuable, alors qu’elles participent bien plutôt du domaine
de la recherche ? C’est ainsi que Sébastien Gouju se prend
à entamer l’ardoise d’un, puis deux, puis trois, puis quatre
et encorede quelques petits trous pour rapprocher
les mathématiques tant de l’astronomie que du gruyère.
Pour ceux qui auraient la mémoire visiblement trop courte.
Il faut souligner que cette oeuvre est d’autant plus intéressante qu’elle est un multiple. Dans ce domaine l’artiste n’en est pas à son premier essai, précisément parce que
la diffusion des oeuvres se rapproche de celle des objets communs. Leur diffusion en nombre participe de cette réactivation, en plusieurs endroits, du sens et de la vue
de ses concitoyens. Ont ainsi été édités, nous entendons
par là mécaniquement, en plusieurs exemplaires un avion
en feuille de métal A4 qui contredit sa légèreté, un cierge intitulé Au nom du père. Mais même en production manuelle, ses oeuvres ont été conçues, pour la grande majorité,
en plusieurs exemplaires comme c’est le cas par exemple
des Papillons, boîtes d’entomologistes réalisées
avec les taillures de crayons. À l’inverse des artistes
dont les oeuvres demeurent pour la plupart du temps dans
la réserve, celles de Sébastien Gouju, sont de manière
presque constantes visibles, actives pour constituer
un véritable répertoire d’intervention. Ainsi, malgré leur modestie respective, elles prennent une force étonnante
dans la lecture globale des actions qu’elles entreprennent.
Ça et là, l’artiste sème la perpétuelle surprise que l’attention
à leur égard provoque. Pour mieux poinçonner dans un monde trop circonscrit par les préjugés et restaurer des béances
où peut enfin se former le poétique.
Ce rapport au monde, s’il n’est intuitif, est pour le moins spontané. En ce sens qu’il rompt avec les distances physiques
qu’impose la vie à travers les concepts telle qu’elle nous
est inculquée. L’oeuvre de déplacement que construit Sébastien Gouju est claire en cela : la vue est déclencheur d’un déplacement vers les objets. Un réflexe de curiosité, simplement, qui fait agir les oeuvres sur le spectateur
qui n’est alors plus réduit à un acte de regard mais engagé dans un acte d’expérience et donc de découverte. À ce titre, les glissements infimes qui se jouent entre forme et matière prennent toute leur importance. Si l’artiste crée un bénitier,
il sera en savon, jouant en cela de l’analogie formelle entre
la coquille du bénitier et la coquille, modèle populaire
du porte-savon. L’oeuvre, dans sa double référentialité,
sera pour la première incapable de retenir l’eau qu’elle devrait contenir, et pour la deuxième sera sa propre métaphore.
Mais encore faut-il s’en approcher pour saisir la nuance.
Le ressort majeur de l’oeuvre, le coeur du discours,
pourrait être saisi comme la critique adressée à une méthode
d’apprentissage héritée des doctrines cartésiennes
dont nous sommes historiquement familiers en France.
Guidée par uneconnaissance préexistant à l’expérience,
elle est, historiquement toujours, opposée à une méthode d’éducation empirique basée sur les sens. En réalité, l’artiste emprunte ici disons une troisième voie. En effet, ce que relève l’oeuvre de Sébastien Gouju, ce n’est pas la prééminence d’une méthode sur une autre, mais précisément l’incontestabilité de l’éducation et le poids qu’elle nous
fait assumer dans notre perception du monde.
Et c’est parce que, quelle qu’elle soit, l’éducation constitue une voie unique de la connaissance qu’il faut sans cesse aller à son encontre. Non pas pour la détruire mais pour lui donner une nouvelle pluralité. Ce que propose le travail tel que nous l’avons évoqué, ce n’est donc pas simplement de revoir,
une deuxième fois, sous l’angle de l’expérience.
Mais de s’étonner, toujours, et de s’approcher, toujours, comme si c’était la première fois.
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