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Marc Lasseaux - entretien - Une valse dans le décor - 2018
 

Quel a été ton cheminement artistique vers la sculpture
et ton choix de travailler avec la faïence émaillée ?

Au demeurant, je travaillais exclusivement la sculpture
ou l’installation, je n’ai assumé le dessin que très tardivement en 2009, auparavant ils restaient confidentiels et remplissaient mes carnets de croquis. J’ai toujours aimé la sculpture parce qu’elle se confronte au réel, elle est tangible et matérielle, c’était une bonne réponse à un monde fait d’écrans
et d’images.
En ce sens, la citation méprisante vis à vis de la sculpture
d’Ad Reinhardt « La sculpture c’est ce contre quoi on se cogne pour regarder un tableau » m’a toujours beaucoup plu dans
sa résonnance à celle de Lacan « Le réel c’est ce contre quoi on se cogne ».  Je voulais donner à saisir les images
en m’appuyant sur ce qu’offrait la sculpture, tant dans
la multiplication possible des points de vues, que dans
la multiplication des matières employées, leurs résistances
et le sens intrinsèque qu’elles portent. De la fin de mes études jusqu’en 2013, chaque pièce était faite d’un matériau différent, avec toutes les techniques et tracas que cela pouvait charrier. Dans ce parcours matériel, à l’été 2013, une pièce en faïence est apparue et j’ai commencé à mettre les mains dans la terre. Cette expérience, de la faïence a été grisante, joyeuse, presque régressive. J’avais enfin un réel plaisir à faire et non plus seulement à concevoir. L’expérience de la céramique
se rapproche du dessin et de la peinture, il y a une immédiateté, une sensualité à l’ouvrage que je m’interdisais, probablement bercé par les réminiscences conceptuelles,
qui ont, je le crois, fait beaucoup de mal aux mains
des artistes. Depuis la céramique est devenue un matériau
de prédilection, non exclusif. D’ailleurs, je travaille
actuellement à la réalisation d’une installation en cuir
avec la Fondation d’entreprise Hermès et je viens de réaliser ma première peinture à l’huile.


Dans le titre de l’exposition que tu as proposé, il est question de décor. A quoi se réfère pour toi le décor ? De qui et de quoi parle-t-il ?

La notion de décor est complexe… Étymologiquement, le mot décor vient du latin decet : ce qui sied, ce qui convient,
il implique donc une dimension morale. Selon Jacques
Soulillou « le décor a à voir avec la loi et le pouvoir…
Tout pouvoir cherche tôt ou tard à s’affirmer à travers
un décor ». Son adjectif, le décoratif est plus subversif.
Il permet de jouer aisément avec les hiérarchies culturelles,
et de mettre en défaut les distinctions entre arts majeurs
et arts mineurs. C’est aussi probablement pour cela que
les modernes ont initié une tradition anti-décorative
ou anti-ornementale, au profit d’un décor épuré, rationnel
et fonctionnel. Sans supplément, inféodé à l’usage, ce cadre moderniste normalise le goût et efface les singularités,
les cultures et les individualités, au profit d’un décor
d’essence autoritaire et productiviste. Soit la domination incarnée d’une culture occidentale, industrielle, performative
et hygiéniste, qui méprise la nature, l’homme et ses aspérités. 
Dans ce contexte, mon travail s’appuie sur un registre décoratif et ornemental agissant comme des parasites
qui ponctuent d’impuretés discrètes l’ordre établi
et son décorum. D’inspiration naturaliste et emprunt d’arts populaires, la main tient une place prépondérante dans
mes réalisations. Attentif aux questions du goût
et aux hiérarchies sociaux-culturelles, j’observe comment chacun ponctue son espace de vie, et tente d’organiser
son environnement afin de parfaire un paradis perdu.
Dans cette conquête d’un jardin originel, plane une douce mélancolie, celle du temps de l’enfance. (Voilà qui plante
le décor.)