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Guitemie Maldonado - Still Life - Semiose galerie, 2016
 

Un poulpe, luisant et rosissant de vie, traverse de tous
ses tentacules une étagère carrelée de verre bleu
et voilà que votre salle de bains pourrait devenir le théâtre d’un combat épique à la Vingt mille lieues sous les mers :
ce fragment d’espace domestique remodelé par une fantaisie débridée suscite des sentiments mêlés, entre la connivence
du clin d’œil et l’inquiétude face à l’animation incontrôlée
et intempestive d’un décor ordinairement si policé.
Telles sont les frontières à l’intérieur desquelles se développent les œuvres de Sébastien Gouju, qu’il s’agisse d’un bassin aux nymphéas, soit Giverny et la peinture
de Monet prosaïquement rendus aux dimensions d’une vasque
de lavabo ou encore, pour les amateurs de contes de fées, d’une baguette magique, simple branche ramassée,
à l’extrémité de laquelle se referme une étoile, de mer
comme il se doit. Autant d’associations en apparence incongrues, qui prennent ici corps dans le registre
du familier – caractère courant des objets, réalisme
de leur restitution en faïence émaillée. Et la surprise,
le plaisir aussi, n’en sont que plus grands.
Mais il y a plus. De la grille formée par les carreaux de verre aux arabesques tracées par les tentacules du poulpe,
c’est toute une histoire de l’ornement qui s’écrit, l’air de rien, entre les excroissances végétales orchestrées
par l’Art Nouveau et la rigoureuse épure prônée
par l’esthétique moderniste. Comme une libération du motif décoratif après sa condamnation morale par Adolf Loos,
et suivant le mécanisme qui fait naître des visions inédites d’un détail caché dans un papier peint ou des lignes
qui structurent le bois, celles-là même à partir desquelles
ont pu dresser des forêts dans les frottages de Max Ernst.
Et si l’univers de Sébastien Gouju résonne encore d’échos surréalistes, il n’en est pas moins solidement ancré
dans notre temps, celui de la séparation consommée
entre l’homme et la nature et du succès croissant des grands magasins de bricolage. Dans leurs allées, on croise en effet
à l’envi des galets à carreler, du gazon en tapis,
des bambous à poser aux murs, des fauves en coussins,
sans parler de tout le nécessaire pour entretenir
des fragments de végétation confinée en appartement
ou au mieux sur un balcon : tous traduisent, au summum
du substitut et de l’artifice, le désir de nature de l’habitant
des villes qui y vit si retranché qu’il pourrait bien croire
à la fable de la branche de cacahuètier, ce défi aux lois
de la botanique représenté pourtant ici d’une façon
si vraisemblable.

Ce dont l’homme s’entoure, l’environnement qu’il se fabrique, bref son cadre de vie : voilà ce que Sébastien Gouju
met en jeu dans ses dernières sculptures, proposant
à l’imagination des hybridations non encore advenues
ou à l’analyse des archéologues du futur
des emblèmes de notre civilisation légèrement transformés.
À ceux qui voudraient ainsi faire l’histoire d’objets aussi communs – et volontiers jugés kitsch – que le pichet
de Côtes du Rhône (immortalisé par les sketchs
des Deschiens) ou les hirondelles porte-bonheur de façades (qui désignent « Notre nid »), l’artiste propose de riches sujets de réflexion, à la croisée du quotidien et de la fable. Dans cet univers, les hirondelles ne volent pas
pour annoncer le printemps, mais les rossignols se cognent contre les murs et y restent fichés, dans la lignée des gags cruels à la Monty Python ; les récipients ne s’adaptent
pas à la conformation de leurs utilisateurs, comme dans
La cigogne et le renard
de Jean de La Fontaine, ce sont
des volatiles qui en sortent leurs têtes. Toute une basse-cour surgit ainsi de pichets plus ou moins ornés : de la famille coq, poules et poussin qui pointent leurs becs hors du col
de pichets standard, motif flammé, au paon majestueux
se dressant hors d’un vase turquoise. Il y va là tant
de l’anthropomorphisme qui se manifeste dans les objets
(un pichet possède un col, une panse, des lèvres), que du règne animal sur lequel l’homme – depuis la domestication – n’a cessé d’étendre sa domination, mais qui toujours fait retour, camouflé même dans l’élément de décor ou l’objet utilitaire les plus insignifiants. « Nature aime à se cacher. », dit Héraclite dans l’un de ses fragments. Avec Sébastien Gouju, elle fait partie du décor.