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Pouvez-vous nous dire où nous sommes ?
Dans l’exposition « Oasis » à la galerie Semiose.
L’exposition réunit cinq sculptures réalisées dans le cadre
du programme de Résidence d’artistes de la Fondation d’entreprise Hermès, auquel j’ai participé sous le parrainage
de Françoise Pétrovitch.
Installation ou sculpture ?
Je ne distingue pas particulièrement entre installation
et sculpture, mais je préfère le terme sculpture. Le cadre
de l’exposition a toujours beaucoup de résonance pour moi, dans l’idée que l’œuvre parvient à la lisière du décoratif.
Je projette mes œuvres le plus souvent dans l’espace
de l’habitat, du domestique. Je le perturbe avec des petits décalages, plus ou moins appuyé. C’est un jeu que je mets régulièrement à l’œuvre dans mon travail. Ce peut être une erreur, une tâche, quelque chose qui vient déranger.
Quelle est la qualité du cuir ? Ce choix de matériau,
de couleur, est-ce le vôtre ?
Il s’agit de cuir d’agneau, teint en noir. Oui, ça m’est apparu assez vite pendant la phase d’immersion du programme
de résidence Hermès. Cette première phase d’une dizaine
de jours m’a permis de découvrir les métiers de la manufacture où j’ai été envoyé, à Saint-Junien en Limousin, la seule
ganterie du groupe Hermès. Un secteur bien particulier.
La question de la main gantée m’évoque des connotations,
je pense à la photo de Man Ray, avec les mains noires peintes par Picasso. Le gant véhicule aussi un imaginaire fétichiste.
Oui, ou encore les cartoons, les supers héros, les pilotes… Pour revenir à l’apparition du projet, le tout premier dessin produit dans les dix premiers jours ressemble en tous points
à la sculpture finale.
Vous commencez toujours par un dessin ?
Oui, toujours. Ainsi que des notes, des croquis…
Ce sont des chutes que vous avez utilisées ?
Oui, des chutes de peaux de 3ème catégorie. L’idée n’était pas tant d’être dans le mimétisme avec la plante, mais de construire en s’appuyant sur les emporte-pièces et la matière artisanale du site de production. De mémoire, je crois que celles-ci, par exemple, proviennent de cravates en cuir.
Vous avez quand même une volonté de mimétisme par rapport à la nature ? Quand je regarde cette feuille par exemple…
elle est troublante d’exactitude.
Oui, tout en m’appuyant soit sur des chutes, soit sur des peaux entières ou des éléments déjà existants.
Vous avez une volonté de retrouver une sorte de flexibilité,
de mouvement naturel, presque d’état naturel.
Le cuir génère cela, ses plis, le reflet, la matière. Souvent,
les analogies formelles structurent mon travail. Par exemple, les grandes peaux me faisaient penser à de grandes feuilles d’arbres exotiques. Empilées, les bords des peaux ressemblaient à de petits feuillages. L’aspérité de certains cuirs évoquaient des écorces. Ou encore, lorsque j’ai vu
ce cuir « Carmen » en rouleau, appuyé contre le mur
à Saint-Junien, j’ai cru voir un tronc. C’est ce point d’équilibre, de jonction, entre des formes produites par la manufacture
et le mimétisme naturel que je recherche.
C’est votre regard qui décèle ce que vous pouvez réutiliser.
Oui. Et puis je trouvais cela beau par rapport aux métiers
de la manufacture. Je voulais montrer des traces de leur savoir-faire. Je ne sais pas comment les artisans les ont perçus, mais si certains d’entre eux regardent les formes
et les objets qu’ils laissent derrière eux un peu différemment,
je serais content.
Souvent le palmier-type a un côté triomphant. Ici ils sont dans un entre-deux, ils plongent vers le bas.
La pièce est très ambiguë, puisqu’il y a à la fois la convocation formelle d’une nature luxuriante, exotique, assez généreuse.
Et paradoxalement, elle est noire, sombre, c’est une nature morte. Il y a une sorte de décadence, quelque chose d’un peu lourd. Je ne fais pas des œuvres pour célébrer la marche
du monde. On peut se poser des questions sur la nature,
sur l’écosystème, ce n’est pas abordé de front, ceci dit.
Lorsqu’on voit toutes les sculptures ensemble, il y a l’idée d’une jungle dans laquelle on se perd, c’est une nature
un peu menaçante.
Menaçante et menacée. Les romans d’Edgar Allan Poe
ont peut-être influencé ce travail. Chez lui je trouve
une convocation de la nature, une étrangeté qui apparaît comme une sorte de brume.
Est-ce qu’on peut évoquer Odilon Redon ici aussi ?
Tout à fait. Toute l’iconographie de Redon, ou encore l’exposition « La Peinture comme crime ».
Une dimension gothique fin de siècle ?
Quelque chose de sombre, de noir, d’inquiétant. Et pourtant
le sujet reste naturel, ça reste des peaux entières mortes.
Ça s’inscrit aussi dans la nature artificielle, telle décrite
par Joris-Karl Huysmans : « Après les fleurs factices singeant les véritables fleurs, il voulait des fleurs naturelles imitant
des fleurs fausses. » On est là en effet dans un monde
de fausseté, de faux-semblant, c’est l’ambiguïté de l’homme face à la nature, et face à son décor et ses éléments
de confort. La fin du XIXe siècle m’intrigue pour sa dualité entre la modernité fascinante et la nostalgie d’un temps
qui s’apprête à changer.
Le Romantisme vous intéresse ? Je pense à des tableaux
de Caspar David Friedrich, avec des arbres morts. Des ruines, aussi, après la destruction.
Oui, ou après un incendie, une catastrophe nucléaire,
une marée noire. Quelqu’un m’a parlé de Pétrole, le roman inachevé de Pier Paolo Pasolini, assez sévère
sur le conformisme de la société, avec une idée obscure
de mondes souterrains. Ces visions et références ne me déplaisent pas. Elles correspondent à des préoccupations personnelles, sur notre monde coercitif, hygiéniste,
au mimétisme ambiant et imposé. En comparaison,
les iconographies dans mon travail restent des indices faibles, ce ne sont que des plantes après tout. C’est aussi la première sculpture que chacun a chez soi. Bouleverser ces équilibres est important pour moi.
Je pense aussi à ces plantes qui intègrent des décors.
Pour résumer, ce qui m’intrigue, c’est la manière
dont on représente la nature dans un espace domestiqué.
Ça va du motif de la plante verte, au motif de papier peint,
de la collection de chiens en céramique aux petits motifs floraux sur les verres en cristal. Tout ce corpus est très étonnant, car il y a une évocation de la nature dans un espace qui par définition protège l’homme de la nature. L’ambiguïté
à cet endroit génère pour moi des formes, d’heureuses maladresses. Le jardin est très représentatif de cet état,
à la lisière entre intérieur et extérieur. Cette domesticité
des motifs est frappante aujourd’hui, avec un retour
aux motifs floraux, une certaine représentation de la nature, partout, dans la rue, les vitrines, les sacs de supermarché, etc. Cette question ponctuait mon travail assez régulièrement
et c’est devenu de plus en plus prégnant, visuellement, formellement. Au départ, ce qui m’intéressait le plus était
la nature des matériaux, leurs qualités propres. Le lien entre les peaux et les feuilles, la souplesse, par exemple, produit
le point de départ, le déclencheur. Et d’autre part, l’iconographie populaire du palmier, l’arbre exotique et le soleil couchant, jardin paradisiaque sous contrôle.
Les œuvres sont surélevées ?
La surélévation leur apporte de la légèreté, une certaine dimension hors-sol. La section circulaire propre aux pots
de fleurs aussi. Et la scène bien sûr, dans une sorte
de petite théâtralité.
Comme si elles pouvaient gagner aussi leur autonomie
et se mettre à bouger toute seule ?
Il y a quelque chose de plus ludique. Une mise en scène,
un décor assumé. Le mouvement est lié à la légèreté.
Et le reflet de couleur fluo évoque le monde de la nuit,
tout comme le cuir noir.
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